Créer une utopie de communication ? Une idée, sur le papier, brillante pour détourner les critiques grandissantes sur le confinement, et ses mesures sanitaires contraignantes. Les gouvernants et décideurs de tous bords ont créé, pour supporter cette utopie, le concept de « monde d’après ». Soit, la promesse qu’après seulement deux mois et demi de confinement, l’être humain serait profondément changé. Il aurait modifié son rapport au monde, s’intéresserait aux autres. Une nouvelle humanité ou une utopie ?
La stratégie semble claire : un nouveau monde est né et il faut le faire savoir. Pour passer à autre chose ? Cela-a-t-il fonctionné ? Pas vraiment : ces belles promesses ne semblent être que des stratégies de communication. L’objectif ? Noyer le grand public sous un déluge de nouvelles positives, qui font du bien au moral. Et nous vendre le « monde d’après » comme notre nouvelle réalité. Quels meilleurs relais que les media, traditionnels et sociaux, pour appuyer ce discours ?
Les mots ont, en effet, le pouvoir de convaincre car ils offrent une perspective rassurante. Ils nous projetent en dehors d’une réalité peu engageante. Quand, en plus, vous les faites porter par des experts, alors vous avez tous les ingrédients pour réussir votre opération de communication : créer l’adhésion autour d’une utopie.
Pourquoi créer une utopie, surtout de communication ? Pour faire oublier bien sûr !
Oublier quoi ? Que la réalité du « monde d’après », censée être pleine de bons sentiments et d’attention aux autres, est plutôt basée sur le tryptique égoïsme, incivilités et surconsommation, sur fond de crise économique profonde et durable.
Mais voilà, les impératifs des sondages d’opinions imposaient de trouver une solution aux mécontentements grandissants. Il fallait trouver une nouvelle façon de communiquer autour de la crise et de ses conséquences. Et, qui plus est, une communication positive, bien entendu, pour redonner le sourire !
C’est là qu’est arrivé le « monde d’après ». Un super héros venu nous sauver de notre morosité ? Non, un outil de communication qui nous promettait un monde meilleur. Et, qui, si on le regarde de très, très près, devait relancer la consommation, et donc, l’économie.
Convoquer l’univers lexical du « champs des possibles » pour faire oublier la crise sanitaire, économique, sociale et sécuritaire.
Cela a marché ! Les media traditionnels et les réseaux sociaux ont consacrés à cette belle utopie des dizaines d’articles, de posts, de vidéos, de reportages et d’interviews. Une nouvelle humanité était née, débarrassée de certains de ses plus noirs travers.
L’avantage, pour les communicants, était de trouver des angles positifs sur un sujet. La crise sanitaire plombait toutes les prises de parole et monopolisait les antennes, des pages entières de journaux et autres sites d’information.
Des experts ès « monde d’après » ont fait leur apparition. Qui mieux qu’une personne faisant preuve d’autorité, pour porter, diffuser et, surtout, valider un message ? La fameuse « caution » d’expertise n’était pourtant basée sur aucune donnée scientifique, étude ou prise de recul nécessaire pour appréhender un sujet.
Et pourtant, la force du message, associée à celle de l’image d’expert, nous a donné envie de croire dans un « monde d’après ». Ce monde serait forcément meilleur que celui nous avions quitté deux mois et demi auparavant. Le réveil est d’autant plus douloureux que les belles promesses cachaient, en fait, une intention de communication : faire parler d’autre chose que de la crise sanitaire.
C’est l’un des ressorts les plus utilisés en termes de prise de parole publique : créer un nouveau sujet d’intérêt pour détourner l’attention de ce qui fâche.
Les media et le grand public se sont emparés de cette nouveauté. Ils voulaient entendre parler d’autres sujets que le Covid-19. Cette lassitude s’est exprimée dans la consommation des media traditionnels. Les Français ont délaissé les grand-messes télévisuelles et radiophoniques, au profit des sites d’information.
Ces derniers ont compris que, pour retenir les internautes, il faut renouveler les thématiques abordées, tant dans les angles choisis que les formats proposés. Le « monde d’après » est pourtant au cœur de la crise sanitaire, sociale et économique. Mais, ils le présentent comme une évolution positive, et quelque peu inattendue, de l’être humain, toutes générations confondues. Cette sortie de crise relançait alors l’attention et créait une autre actualité.
Le « monde d’après » résistera-t-il à l’épreuve du temps ou ne sera-t-il qu’une utopie de communication ?
Concrétiser une utopie, même aussi entraînante que le « monde d’après », est un véritable défi. Il faut l’ancrer dans sa temporalité, lui dédier un véritable champs lexical pour créer l’adhésion sur le long terme. Force est de constater que l’utopie de l’après crise ne résiste pas à la réalité quotidienne de ce « monde d’après », devenu le monde d’aujourd’hui.
Peut-être serons-nous mieux armés pour identifier l’utopie dont accouchera la prochaine crise. Dans le cas contraire, cela voudra simplement dire que les communicants auront su mieux la présenter pour l’intégrer, à long terme, dans l’imaginaire collectif, et en faire une réalité.
La preuve en est : beaucoup moins de place y est consacrée dans les media mais aussi dans les prise de parole des gouvernants et décideurs. Le sujet semble moins être dans l’air du temps, la communication s’essouffle et le grand public est moins réceptif.
L’effet communication a rencontré un relatif succès à très court terme mais est, en revanche, à moyen terme, un échec. Pour finir, sans doute, à plus long terme, par tomber dans l’oubli. Communiquer pour faire oublier ce qu’on ne veut pas montrer est un exercice compliqué et peu d’exemples de réussite existent réellement dans notre histoire moderne.